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2025 GenIA Outlook Report de la Commission Européenne

September 11, 2025

Le Centre Commun de Recherche de la Commission Européenne a publié le 13  juin 2025 son “2025 GenIA Outlook Report” consacré au rôle transformateur de l'IA générative (GenIA) dans l'Union Européenne.[1] Le rapport comprend notamment une analyse approfondie du secteur des soins de santé, qui examine comment la GenIA pourrait avoir de nombreux effets socio-économiques positifs dans ce secteur si les développeurs d'IA, les cliniciens, les chercheurs et les régulateurs étaient en mesure de mettre en balance les nombreuses opportunités et possibilités offertes par la GenIA avec ses pièges et ses risques. Nous exposons ci-dessous les points les plus importants.  

De l'IA traditionnelle à la GenIA : applications dans le secteur des soins de santé

Selon le rapport, la GenIA offre des opportunités considérables en matière d'innovation dans le domaine des soins de santé. Alors que l'IA traditionnelle dans le domaine des soins de santé effectue des prédictions ou des classifications sur la base de données existantes, telles que la reconnaissance de maladies sur des scans ou l'analyse de dossiers de patients, la GenIA va plus loin: elle apprend la structure sous-jacente des données de santé et peut générer de nouvelles données réalistes, telles que des images médicales synthétiques et anatomiquement plausibles de différentes typologies. Les applications (potentielles) de la GenIA dans le domaine des soins de santé sont donc multiples. Tout d'abord, GenIA peut aider à établir des diagnostics différentiels et proposer des tests diagnostiques ou des protocoles de traitement. GenIA peut ainsi réduire la surcharge cognitive des professionnels de santé et renforcer le jugement humain en recueillant des informations à partir de millions de dossiers de patients et de données bibliographiques. Cela pourrait permettre de réduire les retards ou les erreurs de diagnostic. Deuxièmement, la GenIA peut améliorer l'interprétation des images médicales (telles que les IRM et les tomodensitogrammes) et faciliter la détection précoce de maladies telles que le cancer ou les maladies neurologiques. Troisièmement, GenIA peut contribuer à une médecine plus personnalisée : en combinant les données des patients avec les connaissances médicales, GenIA peut proposer des plans de traitement individuels, adaptés aux facteurs génétiques, sociaux et comportementaux. Quatrièmement, le rapport considère GenIA comme une amélioration potentielle de la recherche en matière de soins de santé, tant en ce qui concerne le développement de médicaments que les essais cliniques qui peuvent être simulés par une population synthétique (les « in silico trials »).

Les risques et les pièges de la GenIA dans le domaine des soins de santé

Dans le même temps, le rapport met en garde contre les risques liés à la sécurité des patients, à la responsabilité et à la transparence, et souligne les défis spécifiques suivants.

Premièrement, les modèles GenIA peuvent perpétuer, voire renforcer, les inégalités existantes en matière de soins de santé s'ils sont formés à partir de jeux de données biaisés ou limités ou s'ils sont évalués sur la base de tâches permettant de mesurer leur utilité pratique pour les systèmes de santé. À cet égard, le rapport souligne l'importance du règlement sur l'espace européen des données de santé. En s'attaquant aux problèmes de fragmentation et d'interopérabilité des données, l'espace européen des données de santé pourrait mettre à disposition des ensembles de données plus larges et potentiellement plus représentatifs, ce qui constitue une étape nécessaire – mais insuffisante en soi – pour former des modèles GenIA moins biaisés. En outre, ce cadre pourrait également contribuer à résoudre les complexités liées au RGPD en ce qui concerne l'utilisation secondaire des données de santé. Deuxièmement, les modèles GenIA pourraient générer des éléments qui semblent plausibles à première vue, mais qui, en réalité, ne sont pas basés sur des données épistémiques. Troisièmement, le fait que la GenIA génère du contenu à partir de modèles probabilistes issus de données d'entraînement comporte un risque potentiel, à savoir que le résultat soit principalement une répétition sophistiquée d'informations existantes, ce qui peut nuire à l'expertise médicale et à la créativité humaines. Il est donc essentiel de mesurer systématiquement l'incertitude dans les résultats générés dans les applications de santé.

Défis liés aux données et à la confidentialité de la GenIA

Le rapport souligne également l'existence de défis en matière de données et de confidentialité : les modèles GenIA nécessitent des ensembles de données volumineux, diversifiés et de qualité, mais les données médicales sont souvent fragmentées et non standardisées. Les problèmes liés aux données constituent un obstacle majeur, en particulier pour les maladies rares et les groupes sous-représentés. Bien que les données synthétiques puissent compléter les ensembles de données, il existe des risques de biais, de surajustement et de réidentification. Il est nécessaire de mettre en place davantage de techniques de protection de la vie privée.

Qu'en est-il de l'infrastructure, de l'interopérabilité et de la cybersécurité ?

Enfin, le rapport fait remarquer que de nombreux établissements de soins de santé ne disposent pas aujourd'hui de l'infrastructure informatique nécessaire pour la GenIA, qui exige une puissance de calcul, une capacité de stockage et une capacité de réseau importante. Plus précisément, il existe une tension entre la centralisation de l'infrastructure et la nécessité d'un « apprentissage fédéré »[2] pour protéger la vie privée. L'interopérabilité reste difficile, car les données de santé sont dispersées dans différents systèmes, souvent obsolètes ou propriétaires. En outre, la GenIA comporte également des risques cybernétiques, tels que la « model inversion »[3] , le « data poisoning »[4] et la « prompt injection »[5] , qui peuvent compromettre à la fois la confidentialité et la sécurité des patients.

Les défis juridiques du RGPD liés à la GenIA dans le domaine du droit de la santé

Le rapport met explicitement en lumière un certain nombre de problèmes que pose le traitement des données de santé personnelles dans le cadre du RGPD dans un environnement GenIA.  

Tout d'abord, une base juridique est toujours nécessaire pour traiter légalement des données à caractère personnel. Pour les modèles d'IA, il peut s'agir de l'« intérêt légitime », mais cela nécessite un test d'intérêt entre les intérêts du responsable du traitement et les droits des personnes concernées.[6] Cela est très difficile à réaliser avec des ensembles de données volumineux et diversifiés. Le Comité européen de la protection des données reconnaît les risques que présente l'IA pour les droits fondamentaux et souligne que chaque situation doit être évaluée individuellement. Si l'intérêt légitime n'est pas applicable, d'autres bases telles que le consentement doivent être envisagées, même si cela est pratiquement irréalisable à l'échelle de la formation GPAI.

Deuxièmement, en vertu du RGPD, le responsable du traitement (celui qui détermine la finalité et les moyens du traitement des données à caractère personnel) est responsable.[7] Pendant la phase de développement (telle que la collecte de données et la formation), il est encore assez facile de déterminer comment ce responsable du traitement doit être défini, mais après le déploiement d'un modèle, cela devient beaucoup plus complexe. Cela soulève également la question de savoir si les modèles formés à partir de données traitées de manière illicite (« fruit de l'arbre empoisonné ») compromettent la licéité des données à caractère personnel ultérieures et, par conséquent, engagent la responsabilité du responsable du traitement qui se base sur ce modèle pour ses systèmes GenIA.  

Troisièmement, la question se pose de savoir si l'ensemble des droits[8] dont disposent les personnes dont les données à caractère personnel sont traitées dans le cadre d'une activité donnée pourra être mis en œuvre dans le cas de la GenIA. Par exemple, le droit de ne pas être soumis à des processus décisionnels individuels automatisés, avec les garanties qui y sont associées, telles que l'intervention humaine, semble difficilement compatible avec le fonctionnement des systèmes GenIA, car leur production est souvent le résultat de processus algorithmiques complexes et non transparents dans lesquels l'intervention humaine n'est pas évidente.[9]



Dalia Van Damme



[1] K. ABENDROTH DIAS et al., Generative AI Outlook Report - Exploring the Intersection of Technology, Society and Policy, Office des publications de l'Union européenne, Luxembourg, 2025, https://data.europa.eu/doi/10.2760/1109679 , JRC142598.

[2] Le « federated learning » est une technique décentralisée d'apprentissage automatique qui permet à plusieurs gestionnaires de données de former conjointement un modèle d'IA partagé sans échanger leurs données brutes. Elle permet des mises à jour itératives : les clients entraînent le modèle localement sur leurs propres données, partagent les mises à jour du modèle avec un coordinateur central et reçoivent un modèle global amélioré. Cette approche garantit la confidentialité et la sécurité des données et est utilisée dans divers contextes, des appareils mobiles aux domaines sensibles tels que les soins de santé, où les modèles peuvent être entraînés sur les données des patients sans partager d'informations confidentielles. Commission européenne, Centre commun de recherche. M. Bacco, S. Kanellopoulos, M. Di Leo, A. Kotsev, A. Friis-Christensen, Technology Safeguards for the Re-Use of Confidential Data, Commission européenne, Ispra, 2025, JRC141298.

[3] L'« inversion de modèle » est un type d'attaque IA dans lequel un attaquant utilise la sortie (par exemple, les indicateurs qui indiquent une maladie cardiaque spécifique) d'un modèle d'apprentissage automatiquepour entraîner un « modèle d'inversion » distinct qui tente de reconstruire les données d'entrée d'origine (par exemple, les données médicales de la personne atteinte de la maladie cardiaque spécifique), ce qui permet de déduire des informations personnelles ou confidentielles sur les personnes concernées sans avoir directement accès à l'ensemble de données d'origine.

[4] Le « data poisoning » consiste à manipuler les données d'entraînement d'un modèle d'IA dans le but de faire en sorte que le modèle génère des résultats biaisés ou dangereux lors de son utilisation.

[5] L'« injection de prompt » est un risque de sécurité dans lequel un utilisateur ajoute des données malveillantes à un prompt, ce qui fait qu'un modèle ignore les instructions originales du développeur et que le comportement du modèle peut être manipulé.

[6] Art. 6(1)(f) du RGPD.

[7] Article 5, paragraphe 2, du RGPD.

[8] Articles 15 à 22 du RGPD.

[9] Article 22 du RGPD.

Les Médecins et la Liberté d’Association

September 11, 2025
  1. Le principe

Les articles 27 de la Constitution belge, 11 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques consacrent la liberté d’association. Cette liberté est applicable aux médecins et implique tant le droit de s’associer et de déterminer librement l’organisation interne de son association que de ne pas s’associer.[1] Lorsque le médecin exerce son activité en hôpital ou en extramuros, les associations qu’il conclut doivent néanmoins respecter un ensemble de règles légales ou conventionnelles qui encadrent – parfois assez strictement – cette liberté d’association.

  1. Le partage des honoraires

Rappelons déjà l’article 38 de la loi coordonnée du 10 mai 2015 qui interdit le partage d’honoraires entre praticiens d’une même branche de guérir sauf si ce partage est effectué dans le cadre de l’organisation de soins de groupe. La loi coordonnée du 10 juillet 2008 sur les hôpitaux et autres établissements de soins autorise expressément le partage d’honoraires entre médecins hospitaliers en prévoyant comme système de rémunération la « répartition d’un pool de rémunérations à l’acte, établi pour l’ensemble de l’hôpital ou par service »[2].

Sur le papier, les choses peuvent paraitre simples ; lors de son engagement, le médecin hospitalier s’accorde avec l’hôpital sur son système de rémunération (à l’acte, par pool, par forfait ou mixte), choix qui est alors consacré dans sa convention écrite conclue avec l’hôpital (article 146, §2 de la loi précitée). S’il fait le choix d’une rémunération par pool, il s’associe avec les médecins hospitaliers membres de ce même pool, ce qui implique qu’il doit conclure un ou des accords spécifiques concernant la répartition des honoraires

En pratique, la question du libre choix des médecins de s’associer ou non avec d’autres médecins hospitaliers lorsqu’ils intègrent l’hôpital s’avère généralement plus complexe. Pour être médecin hospitalier, il faut – mais il suffit – que le médecin présente un lien juridique avec le gestionnaire de l’hôpital.[3] Le contrat individuel conclu avec l’hôpital et ses annexes se limitent généralement au système de rémunération choisi, sans donner beaucoup d’informations sur la manière dont concrètement le pool sera réparti. Un second contrat doit donc être conclu dans un deuxième temps entre médecins pour convenir d’une  association. Le gestionnaire n’est généralement pas partie à ce contrat mais ces médecins doivent tenir compte du contrat individuel conclu avec l'hôpital, du règlement général, du règlement médical et du règlement financier lorsqu'ils souhaitent dans un deuxième temps conclure un contrat d'association.  

De nombreuses difficultés peuvent résulter de cette construction juridique et conduire à de réelles problématiques. Certains contrats conclus avec les hôpitaux peuvent par exemple prévoir expressément que la rupture du contrat avec l’association implique la rupture du contrat conclu avec l’institution ou inversement. D’autres ne prévoient pas nécessairement ce cas de figure mais mentionnent uniquement un système de rémunération par pool, ce qui pose également problème en cas de dissolution de l’association.

Lorsque la clé de répartition convenue dans le pool est le timat du médecin (donc son temps d’activité à l’hôpital), toute modification du timat – diminution ou augmentation – aura un impact sur l’association.

  1. L’impact de l’institution sur l’association

Certains choix de gestion du gestionnaire de l’hôpital peuvent également impacter l’association. Ce sera notamment le cas en cas d’engagement de nouveaux professionnels de soins, d’une fusion d’hôpitaux ou de services ou d’une mise en réseau. Comme rappelé supra, les médecins ont en principe la liberté de s’associer, ce qui implique celle de ne pas s’associer. La question est toutefois de savoir si le refus d'accepter de nouveaux membres dans l'association peut leur valoir des sanctions de la part de l'hôpital, les obliger à modifier leur contrat d'association ou à quitter l'hôpital.

  1. La responsabilité et les membres de l’association

Du point de vue de la responsabilité médicale, les membres de l’association restent responsables des actes qu’ils posent[4]. Qu’en est-il pour l’attestation des prestations des membres de l’association aux mutuelles et/ou à  l’INAMI ? Dans le cadre d’un contrôle de l’INAMI sur le respect des conditions de remboursement des soins à charge de l’assurance maladie, l’INAMI peut demander le remboursement de prestations non conformes ou inexistantes et/ou imposer une amende administrative.[5] Etant donné que les membres de l’association auront bénéficié d’une partie des montants liés aux prestations contestées, le médecin membre de l’association concerné par la procédure administrative peut être tenté de demander une participation au membres de son association (sur le remboursement et/ou sur l’éventuelle amende infligée). Si cette possibilité de bénéficier de la solidarité de l’association dans une telle hypothèse n’est pas explicitement prévue dans la convention, il est difficile de demander aux membres de l’association de participer au remboursement ou au paiement d’une éventuelle amende décidée en application des articles 142, 164 ou 168 de la loi du 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.[6] Il est donc nécessaire que le contrat d’association soit clair sur la participation qui peut ou non être demandée aux membres du pool. Il est également souhaitable de distinguer la situation d’un membre de l’association qui commet une erreur occasionnelle que tout médecin peut être susceptible de faire vu la complexité de la nomenclature de l’hypothèse d’une persistance dans l’erreur après un premier avertissement ou d’une surconsommation volontaire.

Il n’est pas sans importance de mentionner la réforme en cours de la nomenclature INAMI et l’avant-projet de loi cadre qui prévoit la possibilité de suspendre le numéro INAMI pour une durée pouvant aller jusqu’à 2 ans pour un médecin qui aurait facturé ses prestations en violation de la nomenclature. Une telle suspension l’empêcherait d’obtenir le moindre remboursement de ses prestations. Il serait préférable de prévoir explicitement dans le contrat d’association les conséquences qu’engendreraient une telle sanction sur l’association.

La conclusion d’un contrat d’association qui reprend clairement l’ensemble des obligations des membres du pool pour un maximum de cas de figure est donc une nécessité pour éviter de longues, pénibles et coûteuses discussions a posteriori.



Céline Bachez et Stefaan Callens




[1] C.C., 21 octobre 2021, arrêt n°146/2021, Cristina Manuela Hubert, SPRL Hubert-Vision, Rev. dr. santé, 2022-23, liv. 4, 275, note Goffin T.

[2] Art. 146, §1, 2° de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 sur les hôpitaux et autres établissements de soins.

[3] Cass. (1re ch.), 4 octobre 2024, R.G. n° C.23.0278.N

[4] Art. 12 du Code de déontologie médicale : « Le médecin peut conclure des conventions de collaboration en vue de l’exercice de sa profession. Le médecin évite toute forme de collusion. Le médecin reste toujours individuellement responsable de ses actes médicaux. L’exercice de sa profession et l’organisation de la collaboration professionnelle doivent correspondre aux dispositions de la déontologie médicale et être fixée dans une convention écrite. »

[5] Art. 142, §1er de la loi AMI.

[6] « Les médecins qui, en raison d’une infraction à la loi sur l’assurance maladie, sont condamnés au paiement ou remboursement d’honoraires indûment reçus et à une amende éventuelle ne peuvent pas répercuter ces sommes sur leurs associés. Le « pooling » des revenus ne signifie pas que, inversement, les honoraires indûment portés en compte doivent être remboursés pas tous les associés. Chaque médecin est personnellement responsable de l’application correcte de la nomenclature. Les autres associés peuvent, par conséquent, considérer que les honoraires versés sont acquis. En l’absence d’accords explicites concernant la répétabilité, une action en récupération ne trouvera pas de soutien dans le contrat entre les parties. En outre, aucun enrichissement sans cause ni paiement indû ne peut être invoqué à l’encontre des associés », C.A. Anvers, 23 avril 2013, Rev. dr. santé, 2016-17, liv. 2, 115, note S. Tack et A. Carre.

Cour de justice, 12 juin 2025 (C‑219/24) – la vaccination obligatoire contre la Covid peut être imposée au personnel

September 11, 2025

Le 30 janvier 2020, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) avait déclaré une urgence de santé publique de portée internationale, marquant le début de la « période Covid ». Le 16 avril 2021, la ville de Tallinn a modifié les descriptions de poste de son personnel des services d'urgence afin d'exiger la vaccination contre les maladies infectieuses dangereuses comme condition d'emploi. Le personnel a eu un certain délai pour fournir la preuve de sa vaccination contre le virus SARS-CoV-2 ou d'une contre-indication à la vaccination. L'article 13 de la loi estonienne sur la santé et la sécurité au travail stipule que l'employeur peut imposer des exigences en matière de santé et de sécurité plus strictes que celles prévues par la loi.  Le personnel de la ville de Tallinn a été informé que l'absence de preuve de vaccination pouvait entraîner la résiliation du contrat de travail. Certains membres du personnel n'ont pas été en mesure de fournir cette preuve. Le contrat de travail a été résilié. Les personnes concernées ont saisi la justice et demandé des dommages-intérêts. Le juge de première instance et le juge d'appel ont jugé que la résiliation était irrégulière. La ville de Tallinn a formé un pourvoi en cassation. Ce juge a souligné que, par exemple, la directive 89/391 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail ne prévoit pas expressément l'obligation de vaccination. En revanche, ladite directive ne fait pas obstacle à l'application de dispositions nationales plus favorables. L'interprétation selon laquelle l'employeur peut obliger les travailleurs à se faire vacciner sans leur consentement pourrait donc être considérée comme une mesure de protection de la santé et de la sécurité au travail plus favorable à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs que les prescriptions minimales de la directive 89/391. Par conséquent, la juridiction de renvoi a souhaité savoir si  la directive précitée s'oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle un employeur peut obliger les travailleurs avec lesquels il a conclu un contrat de travail à se faire vacciner s'ils sont exposés à des agents biologiques.

La Cour estime qu'une obligation de vaccination telle que celle qui découle de l'article 13 de la loi estonienne sur la santé et la sécurité au travail ne relève pas des directives européennes telles que la directive 89/391. Par conséquent, les directives européennes susmentionnées ne s'opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle un employeur peut obliger les travailleurs avec lesquels il a conclu un contrat de travail à se faire vacciner s'ils sont exposés à des agents biologiques.


Stefanie Carrijn

Une examen préalable par un prestataire de soins est-il nécessaire avant que des soins transfrontaliers, y compris par télémédecine, puissent être fournis ? Avis de l'avocat général D. Spielmann du 15 mai 2025 dans l'affaire C-489/23

September 11, 2025

Les faits

Le 8 mars 2018, un patient roumain a appris qu'il était atteint d'un adénocarcinome de la prostate, qu'il devait subir une « prostatectomie »  et que la réalisation de cette intervention à l'aide d'un robot chirurgical offrait les meilleurs avantages pour sa santé. L'hôpital public où le patient souhaitait se rendre disposait d'un tel robot, mais celui-ci n'était pas disponible à ce moment-là. Le patient a appris qu'il pouvait se faire opérer dans une clinique privée  pour un coût de 13 000 euros.

Le patient a également appris qu'il pouvait subir l'intervention en Allemagne et a donc introduit une demande de traitement à l'étranger via le formulaire E112. Avant même que le traitement de la demande ne soit terminé, le patient a été informé par la clinique allemande qu'une place s'était libérée de manière inattendue dans le calendrier des traitements, ce qui lui permettait de subir l'intervention beaucoup plus tôt.

À son retour dans son pays d'origine, le patient a demandé le remboursement de l'intervention à sa  mutuelle, mais celle-ci a refusé, arguant que la procédure de remboursement n'avait pas été respectée.

Le patient avait également introduit une autre demande de remboursement des frais liés aux soins transfrontaliers, mais celle-ci  avait également été rejetée au motif qu'il n'y avait aucune preuve que le patient avait subi un examen médical par un professionnel de santé dans le cadre du système d'assurance maladie roumain.

Les soins transfrontaliers et l'obligation d'obtenir un examen préalable d'un prestataire de soins relevant du système de santé public de l'État membre d'affiliation est une entrave à la libre prestation de services

Le patient a porté l'affaire devant les tribunaux et, en appel, le juge se demande si la réglementation roumaine est compatible avec le droit de l'Union européenne.

Il convient en particulier de vérifier si l'article 56 du TFUE et l'article 7, paragraphe 7, de la directive 2011/24 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation qui subordonne le remboursement des frais de soins de santé transfrontaliers engagés par l'assuré dans l'État membre d'affiliation à un examen médical par un professionnel de santé exerçant dans le cadre du système public d'assurance maladie de cet État et à l'orientation ultérieure par ce professionnel de santé vers une hospitalisation, sans possibilité de présenter des documents équivalents.

L'article 7, paragraphe 7, de la directive 2011/24 dispose ce qui suit : L'État membre d'affiliation peut imposer à une personne assurée désireuse de bénéficier du remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers, y compris des soins de santé reçus par les moyens de la télémédecine, les mêmes conditions, critères d'admissibilité et formalités réglementaires et administratives – que celles-ci soient fixées à un niveau local, régional ou national – que ceux qu'il imposerait si ces soins de santé étaient dispensés sur son territoire. Cela peut inclure une évaluation par un professionnel de la santé ou un administrateur de la santé fournissant des services pour le système de sécurité sociale obligatoire ou le système de santé national de l'État membre d'affiliation, tel que le médecin généraliste ou le prestataire de soins de santé primaires auprès duquel le patient est inscrit, si cela s’avère nécessaire pour déterminer le droit d’un patient aux soins de santé, à titre individuel.

Cependant, aucun(e) des conditions, critères d’admissibilité et formalités réglementaires et administratives imposés en vertu du présent paragraphe ne peut être discriminatoire ou constituer une entrave à la libre circulation des patients, des services ou des marchandises, sauf s’il (elle) est objectivement justifié(e) par des impératifs de planification liés à l’objectif de garantir sur le territoire de l’Etat membre concerné un accès suffisant et permanent à une gamme équilibrée de soins de qualité élevée ou à la volonté d’assurer une maîtrise des coûts et d'éviter autant que possible tout gaspillage de ressources financières, techniques et humaines.

L'avocat général estime que le principe selon lequel toute assuré doit toujours obtenir, pour une hospitalisation, une demande émanant d’un médecin relevant du système public d'assurance maladie roumain, alors même qu’une telle demande, en cas de soins transfrontaliers, sera traditionnellement délivrée par l'établissement hospitalier de l'État membre de destination, prive l'assuré qui ne dispose que d'une autorisation pour une hospitalisation émise un État membre autre que l'État membre d'affiliation la possibilité d'obtenir le remboursement de tels soins, ce qui désavantage les assurés qui souhaitent se rendre à l'étranger pour bénéficier d'un tel traitement.

Dans ces conditions, la réglementation nationale en cause est susceptible de rendre plus difficile l'exercice du droit à la libre circulation par les assurés (points 74 et 75).

L'avocat général estime que le caractère automatique du critère fixé par la réglementation nationale en cause pour bénéficier d'un remboursement et le caractère absolu des termes de la double condition à laquelle est soumis le remboursement des soins hospitaliers transfrontaliers ne lui semblent pas adaptés à l'objectif poursuivi, étant donné que des mesures moins restrictives peuvent être prises, mesures qui respectent davantage la libre circulation des patients et des services, telles que la mise en place d'une procédure visant, le cas échéant, à accepter des certificats ou des rapports médicaux équivalents, accompagnés d'un contrôle de la plausibilité du diagnostic et du traitement proposés (point 87). Selon l'avocat général, un tel critère de remboursement ne peut donc satisfaire à l'exigence de proportionnalité (considérant n° 87).


Stefanie Carrijn

A Propos de Gouttières Buccales Transparentes, de Télémédecine et des Soins Transfrontaliers : Opinion de l’Avocat Général Athanasios Rantos dans l’Affaire C-115/24

July 30, 2025 Consultation et transmission d'images pour des appareils dentaires transparents au-delà des frontières nationales

Plusieurs sociétés allemandes proposent, sous la marque « Dr Smile », un procédé d’alignement dentaire à l'aide d'appareils dentaires transparents (appelés « gouttières dentaires transparentes »). Via le site Internet, les clients potentiels peuvent prendre rendez-vous avec un dentiste qui collabore avec ces sociétés allemandes et qui exerce en Autriche. Le dentiste établit un historique médical, fournit des informations, réalise un scan 3D de la mâchoire et effectue les prestations nécessaires au traitement par appareils dentaires. Le dentiste autrichien envoie ensuite les images et une recommandation concernant la procédure d’alignement dentaire à la société allemande. Cette dernière conclut finalement un contrat avec le patient reprenant toutes les prestations permettant un alignement dentaire à l'aide de gouttières buccales transparentes. Le client reçoit ensuite les appareils par la poste. Le suivi est assuré par la société allemande qui, en cas de questions, contacte le dentiste autrichien. La société rémunère également ce dentiste pour les prestations qu'il fournit aux patients dans le cadre de la prise en charge « Dr. Smile ».


La critique d'une association de dentistes

L'association autrichienne des dentistes saisit la justice car elle estime notamment que les dentistes autrichiens collaborent avec des sociétés allemandes qui ne remplissent pas les conditions requises pour exercer la profession de dentiste en Autriche. La législation applicable en Autriche stipule que lorsque des dentistes collaborent au sein d'un cabinet de groupe, tous les membres doivent être des dentistes autorisés à exercer en Autriche, ce qui n'est pas le cas des sociétés allemandes.

Le dentiste estime en revanche que la société allemande avec laquelle il collabore peut légalement exercer des activités de télémédecine en Autriche et qu'il exerce lui-même ses activités de manière indépendante.

En première instance, le juge rejette les demandes de l'Association autrichienne des dentistes. L'Association fait appel, mais le dentiste demande à la Cour suprême autrichienne de rejeter les demandes introduites par l'Association des dentistes.

Cette Cour a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Elle se demande notamment si les soins prodigués dans le cadre de la télémédecine se limitent aux soins effectivement prodigués au patient via les TIC ou s'ils englobent l'ensemble des soins, y compris les examens effectués dans le pays où se trouve le patient.


Conclusion de l'avocat général

L'avocat général estime qu'il n'y a télémédecine que si les prestations sont effectivement fournies par le biais de moyens informatiques. Si les prestations sont fournies dans un espace où le médecin (dentiste) et le patient sont tous deux présents, il ne s'agit pas de télémédecine.

L'avocat général souligne le caractère large du principe selon lequel, en cas de télémédecine, l'État membre où le traitement est dispensé est bien l'État membre où le prestataire de soins est établi.

Si un médecin ou un dentiste conseille, via une connexion vidéo depuis son cabinet situé dans le pays A, des patients qui se trouvent dans le pays B, ce médecin doit uniquement respecter les règles de son propre État membre. Si l'État membre où se trouve le patient, c'est-à-dire l'État membre B, soumet les prestataires de soins qui proposent des services de télémédecine depuis le pays A à la législation de l'État membre B, cela n'est pas conforme à l'article 4, paragraphe 1, de la directive 2011/24.

Si un dentiste autrichien collabore avec une société allemande alors que, selon le droit autrichien, la collaboration n'est possible qu'avec des dentistes pouvant exercer leur profession en Autriche, cela constitue une entrave au droit d'établissement. Cette entrave n'est possible que si elle est justifiée par des raisons d'intérêt général et proportionnée.   


Stefanie Carrijn & Stefaan Callens