Une examen préalable par un prestataire de soins est-il nécessaire avant que des soins transfrontaliers, y compris par télémédecine, puissent être fournis ? Avis de l'avocat général D. Spielmann du 15 mai 2025 dans l'affaire C-489/23

    September 11, 2025

    Les faits

    Le 8 mars 2018, un patient roumain a appris qu'il était atteint d'un adénocarcinome de la prostate, qu'il devait subir une « prostatectomie »  et que la réalisation de cette intervention à l'aide d'un robot chirurgical offrait les meilleurs avantages pour sa santé. L'hôpital public où le patient souhaitait se rendre disposait d'un tel robot, mais celui-ci n'était pas disponible à ce moment-là. Le patient a appris qu'il pouvait se faire opérer dans une clinique privée  pour un coût de 13 000 euros.

    Le patient a également appris qu'il pouvait subir l'intervention en Allemagne et a donc introduit une demande de traitement à l'étranger via le formulaire E112. Avant même que le traitement de la demande ne soit terminé, le patient a été informé par la clinique allemande qu'une place s'était libérée de manière inattendue dans le calendrier des traitements, ce qui lui permettait de subir l'intervention beaucoup plus tôt.

    À son retour dans son pays d'origine, le patient a demandé le remboursement de l'intervention à sa  mutuelle, mais celle-ci a refusé, arguant que la procédure de remboursement n'avait pas été respectée.

    Le patient avait également introduit une autre demande de remboursement des frais liés aux soins transfrontaliers, mais celle-ci  avait également été rejetée au motif qu'il n'y avait aucune preuve que le patient avait subi un examen médical par un professionnel de santé dans le cadre du système d'assurance maladie roumain.

    Les soins transfrontaliers et l'obligation d'obtenir un examen préalable d'un prestataire de soins relevant du système de santé public de l'État membre d'affiliation est une entrave à la libre prestation de services

    Le patient a porté l'affaire devant les tribunaux et, en appel, le juge se demande si la réglementation roumaine est compatible avec le droit de l'Union européenne.

    Il convient en particulier de vérifier si l'article 56 du TFUE et l'article 7, paragraphe 7, de la directive 2011/24 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation qui subordonne le remboursement des frais de soins de santé transfrontaliers engagés par l'assuré dans l'État membre d'affiliation à un examen médical par un professionnel de santé exerçant dans le cadre du système public d'assurance maladie de cet État et à l'orientation ultérieure par ce professionnel de santé vers une hospitalisation, sans possibilité de présenter des documents équivalents.

    L'article 7, paragraphe 7, de la directive 2011/24 dispose ce qui suit : L'État membre d'affiliation peut imposer à une personne assurée désireuse de bénéficier du remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers, y compris des soins de santé reçus par les moyens de la télémédecine, les mêmes conditions, critères d'admissibilité et formalités réglementaires et administratives – que celles-ci soient fixées à un niveau local, régional ou national – que ceux qu'il imposerait si ces soins de santé étaient dispensés sur son territoire. Cela peut inclure une évaluation par un professionnel de la santé ou un administrateur de la santé fournissant des services pour le système de sécurité sociale obligatoire ou le système de santé national de l'État membre d'affiliation, tel que le médecin généraliste ou le prestataire de soins de santé primaires auprès duquel le patient est inscrit, si cela s’avère nécessaire pour déterminer le droit d’un patient aux soins de santé, à titre individuel.

    Cependant, aucun(e) des conditions, critères d’admissibilité et formalités réglementaires et administratives imposés en vertu du présent paragraphe ne peut être discriminatoire ou constituer une entrave à la libre circulation des patients, des services ou des marchandises, sauf s’il (elle) est objectivement justifié(e) par des impératifs de planification liés à l’objectif de garantir sur le territoire de l’Etat membre concerné un accès suffisant et permanent à une gamme équilibrée de soins de qualité élevée ou à la volonté d’assurer une maîtrise des coûts et d'éviter autant que possible tout gaspillage de ressources financières, techniques et humaines.

    L'avocat général estime que le principe selon lequel toute assuré doit toujours obtenir, pour une hospitalisation, une demande émanant d’un médecin relevant du système public d'assurance maladie roumain, alors même qu’une telle demande, en cas de soins transfrontaliers, sera traditionnellement délivrée par l'établissement hospitalier de l'État membre de destination, prive l'assuré qui ne dispose que d'une autorisation pour une hospitalisation émise un État membre autre que l'État membre d'affiliation la possibilité d'obtenir le remboursement de tels soins, ce qui désavantage les assurés qui souhaitent se rendre à l'étranger pour bénéficier d'un tel traitement.

    Dans ces conditions, la réglementation nationale en cause est susceptible de rendre plus difficile l'exercice du droit à la libre circulation par les assurés (points 74 et 75).

    L'avocat général estime que le caractère automatique du critère fixé par la réglementation nationale en cause pour bénéficier d'un remboursement et le caractère absolu des termes de la double condition à laquelle est soumis le remboursement des soins hospitaliers transfrontaliers ne lui semblent pas adaptés à l'objectif poursuivi, étant donné que des mesures moins restrictives peuvent être prises, mesures qui respectent davantage la libre circulation des patients et des services, telles que la mise en place d'une procédure visant, le cas échéant, à accepter des certificats ou des rapports médicaux équivalents, accompagnés d'un contrôle de la plausibilité du diagnostic et du traitement proposés (point 87). Selon l'avocat général, un tel critère de remboursement ne peut donc satisfaire à l'exigence de proportionnalité (considérant n° 87).


    Stefanie Carrijn