Les Médecins et la Liberté d’Association

    September 11, 2025
    1. Le principe

    Les articles 27 de la Constitution belge, 11 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques consacrent la liberté d’association. Cette liberté est applicable aux médecins et implique tant le droit de s’associer et de déterminer librement l’organisation interne de son association que de ne pas s’associer.[1] Lorsque le médecin exerce son activité en hôpital ou en extramuros, les associations qu’il conclut doivent néanmoins respecter un ensemble de règles légales ou conventionnelles qui encadrent – parfois assez strictement – cette liberté d’association.

    1. Le partage des honoraires

    Rappelons déjà l’article 38 de la loi coordonnée du 10 mai 2015 qui interdit le partage d’honoraires entre praticiens d’une même branche de guérir sauf si ce partage est effectué dans le cadre de l’organisation de soins de groupe. La loi coordonnée du 10 juillet 2008 sur les hôpitaux et autres établissements de soins autorise expressément le partage d’honoraires entre médecins hospitaliers en prévoyant comme système de rémunération la « répartition d’un pool de rémunérations à l’acte, établi pour l’ensemble de l’hôpital ou par service »[2].

    Sur le papier, les choses peuvent paraitre simples ; lors de son engagement, le médecin hospitalier s’accorde avec l’hôpital sur son système de rémunération (à l’acte, par pool, par forfait ou mixte), choix qui est alors consacré dans sa convention écrite conclue avec l’hôpital (article 146, §2 de la loi précitée). S’il fait le choix d’une rémunération par pool, il s’associe avec les médecins hospitaliers membres de ce même pool, ce qui implique qu’il doit conclure un ou des accords spécifiques concernant la répartition des honoraires

    En pratique, la question du libre choix des médecins de s’associer ou non avec d’autres médecins hospitaliers lorsqu’ils intègrent l’hôpital s’avère généralement plus complexe. Pour être médecin hospitalier, il faut – mais il suffit – que le médecin présente un lien juridique avec le gestionnaire de l’hôpital.[3] Le contrat individuel conclu avec l’hôpital et ses annexes se limitent généralement au système de rémunération choisi, sans donner beaucoup d’informations sur la manière dont concrètement le pool sera réparti. Un second contrat doit donc être conclu dans un deuxième temps entre médecins pour convenir d’une  association. Le gestionnaire n’est généralement pas partie à ce contrat mais ces médecins doivent tenir compte du contrat individuel conclu avec l'hôpital, du règlement général, du règlement médical et du règlement financier lorsqu'ils souhaitent dans un deuxième temps conclure un contrat d'association.  

    De nombreuses difficultés peuvent résulter de cette construction juridique et conduire à de réelles problématiques. Certains contrats conclus avec les hôpitaux peuvent par exemple prévoir expressément que la rupture du contrat avec l’association implique la rupture du contrat conclu avec l’institution ou inversement. D’autres ne prévoient pas nécessairement ce cas de figure mais mentionnent uniquement un système de rémunération par pool, ce qui pose également problème en cas de dissolution de l’association.

    Lorsque la clé de répartition convenue dans le pool est le timat du médecin (donc son temps d’activité à l’hôpital), toute modification du timat – diminution ou augmentation – aura un impact sur l’association.

    1. L’impact de l’institution sur l’association

    Certains choix de gestion du gestionnaire de l’hôpital peuvent également impacter l’association. Ce sera notamment le cas en cas d’engagement de nouveaux professionnels de soins, d’une fusion d’hôpitaux ou de services ou d’une mise en réseau. Comme rappelé supra, les médecins ont en principe la liberté de s’associer, ce qui implique celle de ne pas s’associer. La question est toutefois de savoir si le refus d'accepter de nouveaux membres dans l'association peut leur valoir des sanctions de la part de l'hôpital, les obliger à modifier leur contrat d'association ou à quitter l'hôpital.

    1. La responsabilité et les membres de l’association

    Du point de vue de la responsabilité médicale, les membres de l’association restent responsables des actes qu’ils posent[4]. Qu’en est-il pour l’attestation des prestations des membres de l’association aux mutuelles et/ou à  l’INAMI ? Dans le cadre d’un contrôle de l’INAMI sur le respect des conditions de remboursement des soins à charge de l’assurance maladie, l’INAMI peut demander le remboursement de prestations non conformes ou inexistantes et/ou imposer une amende administrative.[5] Etant donné que les membres de l’association auront bénéficié d’une partie des montants liés aux prestations contestées, le médecin membre de l’association concerné par la procédure administrative peut être tenté de demander une participation au membres de son association (sur le remboursement et/ou sur l’éventuelle amende infligée). Si cette possibilité de bénéficier de la solidarité de l’association dans une telle hypothèse n’est pas explicitement prévue dans la convention, il est difficile de demander aux membres de l’association de participer au remboursement ou au paiement d’une éventuelle amende décidée en application des articles 142, 164 ou 168 de la loi du 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.[6] Il est donc nécessaire que le contrat d’association soit clair sur la participation qui peut ou non être demandée aux membres du pool. Il est également souhaitable de distinguer la situation d’un membre de l’association qui commet une erreur occasionnelle que tout médecin peut être susceptible de faire vu la complexité de la nomenclature de l’hypothèse d’une persistance dans l’erreur après un premier avertissement ou d’une surconsommation volontaire.

    Il n’est pas sans importance de mentionner la réforme en cours de la nomenclature INAMI et l’avant-projet de loi cadre qui prévoit la possibilité de suspendre le numéro INAMI pour une durée pouvant aller jusqu’à 2 ans pour un médecin qui aurait facturé ses prestations en violation de la nomenclature. Une telle suspension l’empêcherait d’obtenir le moindre remboursement de ses prestations. Il serait préférable de prévoir explicitement dans le contrat d’association les conséquences qu’engendreraient une telle sanction sur l’association.

    La conclusion d’un contrat d’association qui reprend clairement l’ensemble des obligations des membres du pool pour un maximum de cas de figure est donc une nécessité pour éviter de longues, pénibles et coûteuses discussions a posteriori.



    Céline Bachez et Stefaan Callens




    [1] C.C., 21 octobre 2021, arrêt n°146/2021, Cristina Manuela Hubert, SPRL Hubert-Vision, Rev. dr. santé, 2022-23, liv. 4, 275, note Goffin T.

    [2] Art. 146, §1, 2° de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 sur les hôpitaux et autres établissements de soins.

    [3] Cass. (1re ch.), 4 octobre 2024, R.G. n° C.23.0278.N

    [4] Art. 12 du Code de déontologie médicale : « Le médecin peut conclure des conventions de collaboration en vue de l’exercice de sa profession. Le médecin évite toute forme de collusion. Le médecin reste toujours individuellement responsable de ses actes médicaux. L’exercice de sa profession et l’organisation de la collaboration professionnelle doivent correspondre aux dispositions de la déontologie médicale et être fixée dans une convention écrite. »

    [5] Art. 142, §1er de la loi AMI.

    [6] « Les médecins qui, en raison d’une infraction à la loi sur l’assurance maladie, sont condamnés au paiement ou remboursement d’honoraires indûment reçus et à une amende éventuelle ne peuvent pas répercuter ces sommes sur leurs associés. Le « pooling » des revenus ne signifie pas que, inversement, les honoraires indûment portés en compte doivent être remboursés pas tous les associés. Chaque médecin est personnellement responsable de l’application correcte de la nomenclature. Les autres associés peuvent, par conséquent, considérer que les honoraires versés sont acquis. En l’absence d’accords explicites concernant la répétabilité, une action en récupération ne trouvera pas de soutien dans le contrat entre les parties. En outre, aucun enrichissement sans cause ni paiement indû ne peut être invoqué à l’encontre des associés », C.A. Anvers, 23 avril 2013, Rev. dr. santé, 2016-17, liv. 2, 115, note S. Tack et A. Carre.