Qu’est-ce qu’un médecin hospitalier? La Cour de Cassation précise

    February 06, 2025

    La loi sur les hôpitaux définit le médecin hospitalier comme « le médecin attaché à l’hôpital ou au réseau hospitalier clinique locorégional » (art. 8, 4°). Pour la Cour de Cassation, cette expression « attaché à l’hôpital » implique nécessairement un lien juridique avec l’hôpital et pas n’importe lequel. La Cour fait en effet le parallèle avec l’article 145 de la loi sur les hôpitaux et considère que seuls une convention ou un acte de nomination du médecin sont susceptibles de créer ce fameux lien juridique octroyant au médecin le statut de médecin hospitalier.

    De nombreux praticiens du droit, en ce compris certains juges, estimaient auparavant que ce lien qui devait exister entre le médecin et le gestionnaire était à interpréter très largement. Une collaboration entre un médecin et un hôpital pouvait découler par exemple d’un contrat oral, sans que les bases de la collaboration soient nécessairement formellement définies par écrit, et c’est alors le droit commun des contrats et les dispositions de la loi sur les hôpitaux qui s’appliquaient [1]. C’est de cette façon que certains médecins, invoquant l’existence d’un contrat oral, entendaient bénéficier de la même protection que la loi accorde au médecin hospitalier, notamment l’obligation faite au gestionnaire de solliciter l’avis du Conseil médical avant toute sanction ou rupture de la collaboration (art. 137 et 138 de la loi sur les hôpitaux).

    Certes, l’article 145 de cette même loi impose l’exigence d’un écrit, à savoir une convention ou un acte de nomination. Cependant, la jurisprudence avait davantage tendance à faire dépendre de cet écrit l’opposabilité de la Réglementation générale au médecin plutôt qu’à le considérer comme un élément constitutif du statut de médecin hospitalier. Il est d’ailleurs vrai que la définition de médecin hospitalier de l’article 8, 4° ne reprend nulle part cette exigence d’un écrit [2]

    La jurisprudence antérieure de la Cour de Cassation confortait d’ailleurs cette tendance. Par un arrêt du 27 mai 2019, la Cour de Cassation rappelait ceci :

    « Il suit de l’ensemble de ces dispositions et de la genèse de la loi que la réglementation générale visée à l’article 130 de la loi sur les hôpitaux définit un cadre général au sein duquel les droits et devoirs individuels concrets du médecin hospitalier et du gestionnaire sont déterminés dans une convention individuelle écrite et qu’à défaut de concrétisation dans une convention individuelle écrite, il n’est pas possible de se prévaloir de la réglementation générale pour créer directement des devoirs dans le chef du médecin hospitalier ».

    Dans cet arrêt de 2019 et malgré l’absence de convention écrite, la Cour de Cassation ne semblait pas remettre en question le statut de médecin hospitalier du médecin concerné. En d’autres termes, avec cet arrêt de 2019, seul l’hôpital était impacté : le gestionnaire ne pouvait pas imposer au médecin les droits et obligations découlant de sa Réglementation générale [3]. En revanche, le médecin ne se voyait pas pour autant privé de son statut de médecin hospitalier au sens de la loi sur les hôpitaux et ce, en dépit du fait qu’il ne disposait pas d’une convention écrite avec le gestionnaire.

    Cet arrêt s’inscrivait dans le prolongement de la jurisprudence antérieure de la Cour de Cassation qui estimait que l’hôpital ne pouvait se prévaloir d’une nouvelle réglementation générale tant que la convention individuelle écrite du médecin n’y faisait pas référence. L’ancienne convention restait alors en vigueur [4].

    L’arrêt du 4 octobre 2024 rabat cependant les cartes et va plus loin. En liant l’article 145 de la loi sur les hôpitaux avec l’article 8, 4° de cette loi, la Cour fait de cet écrit le lien juridique exclusif censé rattacher le médecin à l’hôpital, lui octroyant par là même la qualification de médecin hospitalier. Autrement dit, en l’absence d’écrit – lequel doit d’ailleurs reprendre toute une série d’éléments listés à l’article 145 – le médecin n’est pas médecin hospitalier au sens de la loi sur les hôpitaux et à ce titre, ne dispose d’aucuns droits ni obligations repris dans cette loi. Entres autres, il ne peut voter au Conseil médical et ne peut se prévaloir de la protection du Conseil médical des articles 137 et suivants. Il n’est pas non plus visé par la perception centrale organisée par les articles 147 et suivants de la loi et n’est pas tenu contribuer aux frais de l’hôpital comme prévu à l’article 154, ces articles n’étant applicables qu’aux médecins hospitaliers.

    Ce qui est intéressant c’est que les quelques éléments factuels cités dans l’arrêt publié montrent pourtant que le médecin exerçait en fait depuis plusieurs années au sein de l’établissement. Il réalisait des chirurgies ainsi que des gardes et ses honoraires étaient perçus centralement par le gestionnaire. La Cour de Cassation a malgré tout considéré – suivant en cela le raisonnement de la Cour d’appel – que ces éléments ne prouvaient que l’existence d’un lien factuel entre le gestionnaire et le médecin, pas un lien juridique. Sans être médecin hospitalier, il se voyait pourtant imposer des obligations qui découlent de ce statut, en ce compris la perception centrale de ses honoraires ce qui est particulièrement frappant étant donné que cette perception – que la loi ne prévoit que pour les montants destinés à rémunérer les prestations des médecins hospitaliers - s’accompagne généralement de prélèvements sur honoraires supposés couvrir les frais de l’hôpital non couverts par le BMF et découlant des prestations médicales (art. 147 et 154). A priori, seul un accord explicite d’un médecin non hospitalier autorise le gestionnaire à percevoir les honoraires découlant de ses prestations. De la même façon, son accord sur le montant des prélèvements à déduire de ses honoraires est indispensable. L’accord du Conseil médical selon le mécanisme prévu à l’article 155, §4 et 5 lui est inapplicable.

    L’article 30 prévoyant la responsabilité centrale de l’hôpital ne se voit quant à lui pas impacté par ce nouvel enseignement de la Cour de Cassation puisque le législateur a veillé à englober « tous les praticiens professionnels qui y travaillent » et pas seulement les médecins hospitaliers. D’autres questions en lien avec cette responsabilité peuvent cependant se poser. Cet article impose notamment à l’hôpital de veiller à ce que chaque praticien professionnel « qui n’y travaille pas sur la base d’un contrat de travail ou d’une nomination statutaire » respecte les droits du patient (art. 30, alinéa 1er). Or, l’article 21 de la loi sur les hôpitaux, récemment modifié en 2023 afin d’octroyer aux médecins-chefs deux pouvoirs d’exécution (un pouvoir d’instruction et un pouvoir d’avertissement) afin de leur permettre d’exiger le respect de la politique médicale instaurée à l’hôpital [5], ne s’applique quant à lui qu’aux médecins hospitaliers. En d’autres termes, l’hôpital, sur fondement de sa responsabilité centrale, pourrait se voir reprocher les agissements d’un médecin qui exerce au sein de son établissement sans être médecin hospitalier puisque dépourvu de lien conventionnel mais le médecin-chef, éventuellement alerté par un comportement problématique de ce médecin à l’égard de la qualité des soins ou la sécurité des patients, se verrait privé de toute initiative à cet égard.

    Les conséquences de cet arrêt sont donc très importantes, d’autant que l’interprétation de cet arrêt peut être très large. Une autre question peut également en effet se poser quant à la portée de l’enseignement de cette toute nouvelle jurisprudence relative à la partie contractante de cette convention ou auteur de cet acte de nomination dont dépend dorénavant ce statut de médecin hospitalier. Est-il nécessaire que cet acte émane du gestionnaire actuellement en charge de l’exploitation de l’hôpital, à l’exclusion du précédent ? Le monde hospitalier a connu ces dernières années de nombreuses évolutions tant législatives que sociétales, lesquelles ont eu un impact sur la gestion des hôpitaux. Actuellement, la presque totalité des hôpitaux du pays ont été constitués à la suite de fusion successives ou transfert d’activité, se sont mis en réseau et pour certains ont changé de gestionnaire. Toutes ces évolutions n’ont pas toujours été actualisées via la conclusion d’un avenant avec les médecins. Ceux-ci n’ont donc pas toujours une convention individuelle conclue avec le gestionnaire actuel de l’hôpital. Vu le libellé de cet arrêt du 4 octobre – qui précise qu’il faut, pour être médecin hospitalier, un lien juridique de nomination ou de désignation du gestionnaire de l’hôpital – l’on peut se demander si le fait d’avoir conclu un tel accord à l’époque avec un ancien gestionnaire suffit ou sera assimilé à une absence de convention écrite.


    Céline Bachez


    «1» Voy. par exemple Liège, 31 mars 2006, 200RG387, sommaire disponible sur www.juportal.be

    «2» Notons cependant que si la loi sur les hôpitaux ne prévoit pas dans cette définition l’exigence d’un écrit, l’article 1er , 1° de l’Arrêté royal du 10 août 1987 fixant les règles relatives à la composition et au fonctionnement du Conseil médical en exécution des articles 24, 25 et 26 de la loi du 23 décembre 1963 sur les hôpitaux le mentionne expressément : « 1° sont considérés comme médecins hospitaliers :

    a) les médecins exerçant à l'hôpital et dont l'activité est régie par une convention individuelle ou un acte de nomination, visés à l'article 33 de la loi du 23 décembre 1963 sur les hôpitaux, y inséré par l'arrêté royal n° 407 du 18 avril 1986; »

    «3» Cass. (3e ch.), 27 mai 2019, C.16.0081.N, Rev. dr. santé, 2020-21, liv. 4, 310 et E. DELBEKE, « La réglementation générale de l’hôpital n’est pas transposable sans convention individuelle écrite », Rev. dr. santé, 2020-21, liv. 4, 311 à 315.

    «4» “Attendu que, après qu’une réglementation générale a été élaborée par le gestionnaire de l’hôpital, conformément à l’article 130 de la loi précitée, il y a lieu de remplacer les conventions individuelles existantes entre les médecins hospitaliers et le gestionnaire de l’hôpital par de nouvelles conventions fixant par écrit les droits et devoirs respectifs du médecin hospitalier individuel et du gestionnaire, par référence à la réglementation générale ;

    Que, toutefois, tant qu’aucune convention individuelle n’a été conclue entre le gestionnaire et le médecin hospitalier, dans laquelle il est fait référence à la réglementation générale prévue par l’article 130, l’ancienne convention reste en vigueur, y compris les modes de résiliation qu’elle prévoit, pour autant qu’ils ne soient pas contraires à des dispositions légales impératives ; que ni les articles 130 et 131 de la loi du 23 décembre 1963 sur les hôpitaux ni aucune autre disposition légale n’excluent le congé comme mode de cessation des rapports juridiques entre le gestionnaire et le médecin hospitalier et ne règlent ses modalités »,Cass. (3e ch.), 8 avril 2002, C.00.0118.N, Rev. dr. santé, 2002-03, liv. 5, 322, note S. CALLENS.

    «5» Projet de loi portant des dispositions diverses en matière de santé, exposé des motifs, Doc., Ch., 2022-2023, n°3538/001, p. 8 et 9.