Charge de la preuve: La cour de cassation a-t-elle enfin tranché? Arrêt de 18 juin 2020

    July 28, 2020

    Le paragraphe 2 de cet article liste les différentes informations qui doivent être fournies au patient, à savoir l’objectif, la nature, le degré d’urgence, la durée, la fréquence, les contre-indications, les effets secondaires, les risques inhérents à l’intervention et pertinents pour le patient, les soins de suivi, les alternatives possibles, les répercussions financières, les conséquences possibles en cas de refus ou retrait du consentement et, plus généralement, « les autres précisions jugées souhaitables par le patient ou le praticien professionnel, le cas échéant en ce compris les dispositions légales devant être respectées en ce qui concerne une intervention ».

    Cet article qui consacre ce droit à l’information dans le chef du patient, met donc à charge du praticien une obligation d’information préalable à toute intervention.


    Charge de la preuve

    Depuis plusieurs années, la question de qui du patient ou du praticien de la santé assume la charge de la preuve dans le cadre de la délicate question du non-respect de cette obligation d’information est controversée en doctrine, en lien avec une jurisprudence de la Cour de Cassation qui n’est pas toujours évidente à suivre.

    Un arrêt de la Cour de Cassation du 25 juin 2015 avait fait espérer à plusieurs praticiens un renversement de la charge de la preuve. Cet arrêt, qui ne concernait pas un praticien de la santé mais un avocat, décide que c’est à l’avocat de prouver qu’il a respecté son obligation d’information à l’égard de son client et non à ce dernier de prouver un fait négatif, à savoir que cette obligation n’a pas été respectée. Pour certains, cette jurisprudence trouvait également à s’appliquer dans la relation professionnel de la santé - patient.

    En 2019, la Cour de Cassation s’était repositionnée sur cette question, décidant qu’en ce qui concerne une demande fondée sur la responsabilité non contractuelle, c’est à la partie qui se dit lésée de prouver la faute, le dommage et le lien causal. Autrement dit, lorsque la faute invoquée par le patient est une absence d’information, c’est au patient de démontrer qu’une telle obligation existe et que le praticien en question ne l’a pas respectée.  

    Les conclusions de l’avocat général présentées dans cet arrêt laissaient entendre qu’en cas de responsabilité contractuelle, il pourrait en être autrement. Dans cette hypothèse, ce serait au médecin de démontrer qu’il s’est acquitté de son obligation d’information, sur pied de l’article 1315, alinéa 2 du Code civil.[1]

    Le 18 juin 2020, la Cour de Cassation a une nouvelle fois été amenée à traiter de la charge de la preuve à l’égard de cette obligation d’information dominant la relation praticien de la santé - patient. La Cour confirme sa jurisprudence selon laquelle c’est bien à la personne lésée, en l’occurrence le patient, de prouver que le médecin aurait dû lui fournir ces informations et qu’il ne l’a pas fait. En d’autres termes, le patient a la charge de la preuve d’un fait négatif.

    Enseignements et suites de l’arrêt de la Cour de Cassation du 18 juin 2020

    Contrairement à son arrêt de 2019, la Cour de Cassation ne précise plus le caractère contractuel ou non contractuel de la demande ayant mené à son arrêt. Même avec cette récente confirmation, il n’est pas certain que la Cour de Cassation ait par cet arrêt souhaité faire assumer au patient la charge de la preuve dans tous les cas.

    La Cour le mentionne systématiquement : chaque partie à la charge de prouver les faits qu’elle allègue (article 870 du Code judiciaire) et  celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver (article 1315, alinéa 1er du Code civil).

    Pourquoi dans ce cas la Cour choisit-elle de faire une telle distinction entre l’obligation d’information légale de l’avocat et celle incombant du prestataire de soins ?

    La charge de la preuve incombe à celui qui se prétend partie lésée. Conformément aux principes applicables en matière d’indemnisation, c’est à la partie qui réclame l’indemnisation de démontrer l’existence d’une faute lui ayant causé un dommage (article 1382 du Code civil lu en combinaison avec l’article 870 du Code judiciaire). Comme le rappellent les conclusions de l’avocat général Ria Mortier[2] déposées dans le cadre de l’arrêt précité du 11 janvier 2019, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de 2015, l’avocat était demandeur et réclamait le paiement d’honoraires à un ancien client. C’était donc à lui de démontrer avoir droit à ces honoraires, en prouvant qu’il avait correctement informé son ancien client que ce dernier pouvait bénéficier de l’aide juridique. Il n’était pas question en l’espèce d’une action en responsabilité de ce client à l’égard de son avocat.

    A l’inverse, en matière d’action en responsabilité c’est le patient, en son nom ou via l’intervention de son assurance, qui réclame un dédommagement en invoquant une faute du praticien lui ayant causé un dommage. Le raisonnement de la Cour de Cassation est donc assez logique : à celui qui réclame de prouver.  

    Le cas inverse, à savoir un médecin qui réclamerait des honoraires impayés à un patient, se rapprocherait davantage des faits visés dans l’arrêt précité de 2015. Il est raisonnable de penser que ce serait dans ce cas au praticien de la santé de prouver avoir droit à ces honoraires et, si la question se pose, prouver qu’il a rempli son obligation d’information conformément à ce que l’arrêt de Cassation prévoit pour l’avocat.

    Et pour l’avenir ?

    Un autre point de questionnement concernant cet arrêt de juin 2020 concerne son articulation avec la prochaine entrée en vigueur du livre 8 du nouveau Code civil relatif à la preuve, prévue pour le 1er novembre 2020 en ce qui concerne la majorité de ses dispositions.

    Le nouvel article 8.4 concernant la charge de la preuve prévoit la possibilité pour le juge de renverser la charge de la preuve via un jugement spécialement motivé, lorsqu’il se trouve dans des circonstances exceptionnelles et que l’application des règles habituelles en matière de preuve s’avèrerait « manifestement déraisonnable ». Les travaux préparatoires mentionnent l’hypothèse d’un « déséquilibre important dans l’aptitude à la preuve, lorsque la preuve à constituer, conserver ou rapporter est excessivement lourde ou coûteuse pour l’une des parties »[3].

    Il reste à voir l’application concrète de cette disposition qui sera faite par les Cours et Tribunaux de notre ordre judiciaire. Il n’est pas exclu qu’ils appliquent cette disposition dans l’hypothèse d’un fait négatif à prouver par le patient– en l’espèce, une absence d’information, qui s’avère par définition plus difficile à prouver.

     

    Céline Bachez


    [1] Cass., 11 janvier 2019, C.18.0210.N, concl. Av. gén. R. Mortier, n°2.3.

    [2] Ibidem, n°2.2.1.

    [3] Doc. Parl., Chambre, 2018-19, 54-3349/001, p. 15.